dimanche 11 juillet 2010

METACORTEX | MAURICE G. DANTEC | ALBIN MICHEL

Chronique parue initialement dans le numéro 15 du magazine NOISE.

METACORTEX - Maurice G. Dantec (Albin Michel)
Villa Vortex, le premier volume de la trilogie "Liber Mundi (Livre-Monde) fait figure de point de bascule dans l'œuvre de Dantec. Considéré par bien des critiques comme le récit crypté de sa conversion au catholicisme, c'est à partir de ce livre que la littérature de Dantec va littéralement changer de visage. Ou plutôt commencer à s'assumer comme l'expression d'une quantité de visages. Cette "destruction comme point préliminaire" (comme il aime le rappeler en citant Ernst Jünger) passe d'abord chez lui par une destruction de soi. Donc, de fait, par la destruction de la notion d'identité et d'auteur.

C'est sur les bases de Villa Vortex que va naître chez Dantec les concepts de "livres dans le livre", de "Livres-Monde", de fictions qui cherchent à prendre vie dans le monde réel à travers le vecteur de l'écrivain. Paradoxalement, l'écrivain va commencer à s'affirmer en tant qu'auteur au moment où il rejette son concept même (en tout cas, tel qu'il est communément admis dans le milieu des zarzélettres). Quand on l'interroge sur la sortie du volume 3 de la trilogie, Dantec répond presque candidement : « je ne pense pas » au volume trois, il est déjà en train de se penser, depuis longtemps, quelque part dans mon système nerveux central ».
De système nerveux central, il en est salement question dans Metacortex. Le cerveau, chez Maurice Dantec, est synonyme de mystère, tout comme peuvent l'être l'ADN ou la Sainte Trinité dans d'autres pans de son oeuvre. Plus globalement, on pourrait presque dire que chez lui, tout procède du mystère. La réalité ? Une illusion, un complot qu'il convient de décrypter pour mieux déjouer ses pièges. Son arme : la littérature. Les mots, le Verbe, pour lui, sont les seuls moyens de mettre à jour ces pans de réalité invisibles à l'œil nu. Là où les hébreux cherchaient à "décoder" la Bible à travers l'enseignement numérique de la Kaballe, Dantec écrit (toutes proportions gardées) des livres qu'il code lui-même (à travers l'utilisation des genres : thriller, science fiction) avant de laisser le mode d'emploi à ses lecteurs, qui pourront, si ils le veulent, si ils en font l'effort, décrypter le livre et accéder à un autre angle de la réalité. Quand on a compris ça, on saisit pourquoi les amateurs d'intrigues au kilomètres ont laissés tomber l'auteur il y a sept ans. Quand on a compris ça, on comprends pourquoi sa littérature a commencé à être jugée "imbitable" par une certaine catégorie de lecteurs. Quand on a compris ça, on découvre pourquoi une poignée de livres de Dantec se retrouvent un beau matin au programme de certaines universités américaines. La littérature de Dantec n'est en aucun cas gratifiante aux premiers abords, même si l'auteur n'a rien perdu de sa dextérité pour dépeindre personnages/lieux/actions et apporter au lecteur un certain "plaisir de lecture". La lecture d'un livre de Dantec nécessite toujours une certaine part de sacrifice, d'humilité et de patience pour le lecteur. Mais pour qui saura trouver les clefs, et ne prendra pas peur à l'idée de jeter un œil derrière la porte, celui là sera alors récompensé au centuple.

Metacortex débute en 2018, dans un monde en proie au chaos, à la piraterie maritime, aux expérimentations génétiques, aux mafias et aux catastrophes climatiques. Paul Verlande, un flic de la Sûreté du Quebec, est chargé d'enquêter sur une série d'attentats, d'assassinats de flics et de disparition d'enfants. Épaulé par son collègue Voronine, les "deux V" vont mettre à jour, en croisant les résultats de plusieurs enquêtes, un infra-monde fait de crimes pédophiles abominables et de complots multiples. Parallèlement, nous est révélé le passé du père de Verlande, qui s'engagea un peu naïvement dans la SS au début de la seconde guerre mondiale. En s'enfonçant dans ces deux histoires parallèles, liées au delà de l'espace et du temps, c'est une "autre" histoire secrète du XXème siècle qui nous est narrée. Une qui n'entretient absolument aucun rapport avec celle de Greil Marcus.

D'une noirceur absolue, Metacortex est paradoxalement le roman le plus lumineux et le plus optimiste de Dantec. Optimiste parce que sa littérature est devenue une littérature du dévoilement de la Vérité et de l'expiation, et que derrière chaque victime, derrière chaque atrocité se cache de fait la rédemption du bourreau, et à travers lui la rédemption de tous les hommes, selon les principes chers à Joseph de Maistre, dont la "théorie de la réversibilité" est abondamment citée et utilisée dans la trame narrative.

Sans fierté mais aussi sans fausse modestie, Metacortex se pose ainsi à la fois comme une théorie de la littérature, une théorie de l'homme et une théorie du monde. Rien que ça. Si vous trouvez que ça fais beaucoup pour un seul homme et quelques 800 pages, il vous reste Anne Gavalda. Cependant, si la littérature reste pour vous une énigme dont nous ne savons encore rien, un outil servant décoder les simulacres qui nous entourent, un outil que nous sommes encore loin de maitriser, alors ce livre est pour vous. Ou pour vos descendants qui sauront peut-être mieux que vous quoi faire de cette arme étrange a qui il disait il y a déjà quelques années dans l'un des pages de son journal "Je parle pour toi, homme de 2099, pas pour les journalistes de Libération".

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